Édition du 25 avril 2015, section DÉBATS
DÉSÉQUILIBRER POUR MIEUX ÉQUILIBRER
BOUCAR DIOUF
HUMORISTE, CONTEUR, BIOLOGISTE ET ANIMATEUR, IL COLLABORE RÉGULIÈREMENT À LA PRESSE DÉBATS.
Un autre budget équilibré vient d’être déposé à Ottawa par un ministre en chaussures de sport et affichant un sourire qui n’était pas sans rappeler celui de monsieur Leitao exhibant ses lacets il y a un mois.
Le même sourire qu’on voulait nous voir arborer quand le ministre Joe Oliver est venu, avant les Fêtes, nous faire miroiter une péréquation record comme cadeau de Noël de M. Harper au Québec. Chaque fois, le décorum finit par faire oublier que la cagnotte présentée comme une nouvelle richesse a été récupérée à coups de machettes sur les institutions. Et au diable les victimes et les conséquences de l’impitoyable collecte !
Tout ce pognon que les conservateurs lancent en l’air n’est-il pas en grande partie généré par la fameuse réforme de l’assurance-emploi et les coupes dans la recherche scientifique, dans la protection de l’environnement, dans la culture, dans les parcs, dans les services douaniers, dans l’inspection des aliments, à Service Canada, à Postes Canada, à CBC/Radio-Canada, dans les services aux anciens combattants, au ministère de l’Immigration, et j’en passe ? Cet argent ne provient-il pas, surtout, de décisions qui ont miné la qualité des services et détruit des carrières ?
La mémoire politique est courte et ça, les stratèges en communication l’ont bien compris. Tu peux les affamer maintenant comme faisait Pavlov avec son chien.
Si quelques mois avant l’élection, tu leur offres un steak, ils vont avoir déjà oublié que tu leur as scié une jambe pour leur donner cette viande.
Au Québec aussi, la méthode Harper semble être le modèle à copier et on nous martèle que le massacre à la tronçonneuse est une façon d’offrir à la jeunesse un avenir meilleur. Comme quoi tous ces enfants en difficultés d’apprentissage dans des classes qu’on veut surpeupler, qui ont perdu des services d’aide aux devoirs, qui ne font plus de sorties et dont les parents payent davantage de frais afférents, devraient demander la permission aux enseignants surchargés et sous-payés pour sortir massivement de bien des écoles publiques qui tombent en ruine et célébrer l’atteinte de l’équilibre budgétaire.
Entre une jeunesse analphabète qui finit par décrocher dans un Québec équilibré et une jeunesse avec une éducation de qualité dans un Québec endetté, le gouvernement a déjà fait son choix. Il ne reste plus qu’à espérer que les surplus à venir seront réinvestis dans les écoles plutôt que dans des baisses d’impôts pour les grandes entreprises.
Les paramètres économiques comme l’équilibre budgétaire, le produit intérieur brut et la croissance économique ont beau paraître savants, ils ne mesurent pas tout. Pour ceux qui ont encore des doutes, je recommande cet extrait d’un discours de Robert Kennedy qui est encore actuel, même s’il a été prononcé le 18 mars 1968 :
« Notre PIB inclut aussi la pollution de l’air, la publicité pour le tabac, les systèmes de sécurité qu’on installe pour protéger les habitations, le coût des prisons où on enferme ceux qui réussissent à les forcer, la destruction des forêts, la production du napalm, des armes nucléaires et des voitures de police blindées destinées à réprimer des émeutes dans nos villes, ainsi que les émissions de télévision qui glorifient la violence dans le but de vendre les jouets correspondants à nos enfants. Mais dans ce savant calcul du PIB, on ne tient jamais compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. Le PIB ne mesure pas la beauté de notre poésie, la solidité de nos mariages, la qualité de nos débats politiques, l’intégrité de nos représentants, notre sens de la compassion et du dévouement envers notre pays. Le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. »
http://plus.lapresse.ca/screens/827f84a2-ca1b-4dc7-bc55-ef665912c8d9%257C_0