http://www.lexpress.fr/emploi-carriere/emploi/antony-kavanagh-le-quebec-est-une-meritocratie-la-france-reste-une-aristocratie_1131069.html
CANADA - Antony kavanagh a, lui aussi, vécu l'expérience de l'émigration... du Canada vers la France.
P.Perez Castano
L'Express a rencontré Antony Kavanagh. Deux heures d'échanges hauts en couleur, où le comique s'amuse à renverser tabous et préjugés. Et livre ses conseils aux Français tentés par l'émigration.
"Je suis un quart français", lance-t-il en boutade, dans un rire tonitruant. Le ton est donné. Antony Kavanagh, né à Montréal de parents haïtiens ayant fui la dictature de Baby Doc, a désormais passé le quart de sa vie en France. Dans son dernier spectacle, le Québécois se lâche: "Cela fait dix ans que je suis ici, je dis tout, j'assume tout." Cet humoriste multicarte -animateur télé, chanteur, acteur a gardé un pied de l'autre côté de l'Atlantique. Il porte un regard caustique sur sa terre natale, avec laquelle il a pris ses distances, et sur son pays d'adoption, qu'il n'hésite plus à critiquer.
"Je suis l'interprète parfait entre les deux", ose-t-il, sans rire cette fois. C'est bien pour cela que L'Express l'a rencontré. Deux heures d'échanges hauts en couleur, où le comique s'amuse à renverser tabous et préjugés. Et livre ses conseils aux Français tentés par l'émigration.
Comment qualifier le regard que Français et Québécois portent les uns sur les autres?
Les Français ont un fantasme québécois comme les Québécois ont un fantasme français. En bon Québécois, gentil, poli, quand j'arrive dans un pays qui m'accueille, je ferme ma gueule car je suis un invité. Le Français, lui, a une opinion sur tout et ne s'en cache pas. Quand je répète sur scène ici, j'ai l'impression que ce pays compte 65 millions de directeurs artistiques! Au Québec, quand on ne sait pas, on se tait.
Il faut être conscient que le Québécois n'est ni français, ni anglais, ni américain, ni canadien anglais, il est tout cela en même temps. La France, c'est la grand-mère patrie mais, nous, Québécois, nous sommes moins français que nous le pensons. On en prend conscience quand on vient ici. En revanche, quand on va à Londres, c'est un choc: nous sommes beaucoup plus britanniques que nous ne l'imaginons!
Antony Kavanagh en 11 dates
1969 naissance à Montréal
1989 distingué comme l'un des deux meilleurs nouveaux humoristes de l'année au Québec
1992 fait la première partie de Céline Dion
1995 premier one man show dans la Belle Province
1998 débuts en France, à Lyon
1999 premier spectacle à l'Olympia, à Paris
2001 présentation des NRJ Music Awards sur TF1
2003 s'installe en France
2007 "Antonykavanagh. com", nouveau one man show
2008 retour au Québec pour une grande tournée
2010Antony Kavanagh fait son coming out, dernier spectacle
Dans un de vos spectacles, vous dites: "La différence entre Dieu et les Français, c'est que Dieu ne se prend pas pour un Français." C'est cruel...
C'est l'image que les Québécois ont du Français: arrogant. Certains préjugés qui datent de la Seconde Guerre mondiale n'ont pas disparu. Un Français, ça ne se lave pas. Un Français, c'est un éternel donneur de leçons. Dans les années 1950, les Français qui débarquaient au Québec agissaient souvent comme s'ils se trouvaient dans une colonie: "Laissez-moi passer, écoutez-moi les paysans!" Ce comportement a beaucoup marqué les esprits.
D'autant plus qu'avant la Révolution tranquille [le réveil des francophones à la fin des années 1960, NDLR], les Anglophones, qui détenaient le pouvoir et détestaient les Québécois -on était des chiens pour eux-, réservaient les meilleurs postes à ces mêmes Français.
Plus récemment, dans les dix dernières années, le Québec a connu une forte immigration française. à Montréal, le quartier du Plateau est devenu un ghetto de Français. Ces nouveaux arrivants ont profité de la faiblesse du dollar canadien: "Le Québec? Un pays sous-développé de luxe, j'achète!"
Et du coup, ils peuvent encore s'entendre traiter de "maudit français"...
Si tu veux te faire accepter, ferme ta gueule et sois ultra-gentil
Je dis toujours à mes amis français qui arrivent au Québec: "S'il te plaît, pendant cinq minutes, si tu veux te faire accepter, ferme ta gueule et sois ultra-gentil." Car on va t'observer et disséquer ton comportement. Aux yeux des Québécois, il y a deux types de Français: le "Parisien", méfiant, critique, râleur, et le "Marseillais", à l'accent chantant et d'un abord facile. Face au "Parisien", les Québécois, agacés, peuvent réagir et lancer: si tu n'es pas content, retourne dans ton pays! Pour s'intégrer, il ne faut se placer ni au-dessus ni en dehors.
Sur quoi se trompent les Français quand ils rêvent du Québec?
On dit souvent que le Québécois est un Américain élevé en France ou un Français élevé aux états-Unis. C'est faux. Les Français croient que nous partageons la même mentalité. C'est aussi faux. Se rendre au Québec en vacances et s'y installer, ce sont deux expériences complètement différentes. Le touriste français est conquis par l'amabilité des Québécois mais l'immigrant découvre vite qu'il reste un mur à franchir pour être vraiment accepté.
N'est-ce pas finalement plus facile pour un Français d'émigrer au Canada anglais?
Les Français sont très bien reçus au Canada anglais, comme des "vrais Français", par opposition aux Québécois. Mais là aussi, il faut nuancer: on fait croire aux Québécois que la majorité des anglophones les détestent, c'est faux. Et puis les Canadiens anglais sont très très polis. Ils s'excusent même quand ils ne sont pas en faute.
Le "reste du Canada" est-il très différent du Québec?
J'ai fait deux ans de tournée dans le reste du Canada avec Céline Dion. C'était une chance énorme, à 22 ans, d'aller jusqu'à Vancouver. C'est le même pays, la même monnaie mais quelque part, c'est à moitié l'étranger. Le Canada, c'est bien "deux solitudes". Les anglophones ont plus de lien entre eux qu'avec le Québec.
Toronto est plus cosmopolite que Montréal. A Saskatoon, je me suis vu le seul black dans un bar, cela fait tout drôle
Les villes sont très différentes. Toronto est plus cosmopolite que Montréal. A Saskatoon, je me suis vu le seul black dans un bar, cela fait tout drôle. Calgary, c'est le Texas. Vancouver, c'est la côte ouest, un autre climat, une autre flore, une autre ambiance, relax. Plus j'allais vers l'ouest et plus je voyais d'Amérindiens et d'Asiatiques. La musique aussi change: une fois quitté Toronto, les gens écoutent beaucoup plus de country.
Il y a aussi un monde entre l'humour français, l'humour québécois et l'humour anglais?
Ce sont des rythmes différents. L'anglais impose un humour d'efficacité avec des vannes toutes les 10 à 15 secondes. Au Québec, la langue est le français mais le rythme est américain. Les artistes font leurs débuts dans les bars, où le public est souvent éméché: il faut s'imposer vite. Si tu es inconnu, tu as deux minutes pour convaincre. En France, la tradition humoriste vient du théâtre qui privilégie le jeu de mots et les personnages qu'on prend le temps d'installer. Mais il faut être plus agressif.
P.Perez Castano
Sur le fond, j'observe un effet de balancier, le politiquement correct arrive en France et recule en Amérique du Nord. On peut dire certaines choses au Québec, pas en France. Là-bas, on peut faire des vannes sur les communautés, les pauvres, les handicapés, les pédophiles. Ici, j'ai dû édulcorer de moitié mon numéro, tellement cela choquait. On m'avait dit aussi, pas de vanne sur les gros, l'armée, la religion. En France, on ne peut pas trop rire des juifs, au Québec on s'en fiche. Chez nous, on peut aussi rire de l'islam, le poids de l'histoire n'existe pas. Je pourrais très bien imaginer un sketch sur les Algériens qui profitent du système. En France, j'ai plaisanté sur Mahomet mais en cachant mon visage.
Vaut-il mieux être Noir au Québec ou en France?
Au Québec. De ce point de vue, mon arrivée en France a été un choc: je pensais que, dans le pays des droits de l'Homme, ce serait plus facile. En réalité, la France est plus raciste que le Québec même si elle l'est moins que les états-Unis. à Montréal, lorsque j'ai présenté un talk-show à 23 ans, c'est mon jeune âge qui a frappé, pas ma couleur.
Le Québec est une méritocratie quand la France reste une aristocratie
A Paris, en 2000, quand j'ai présidé pour la première fois les NRJ Awards, c'était l'événement car j'étais noir. Ils étaient tous flippés: ils craignaient pour l'audience. En France, les Noirs n'existent pas, même si au cinéma, cela commence à changer. Au Québec, face au modèle américain, je pensais que nous n'étions pas assez représentés mais, par comparaison avec la France, c'est mille fois mieux chez nous. Le Québec est une méritocratie quand la France reste une aristocratie.
Les résultats comptent donc plus que les diplômes?
Le Québécois fait son travail sérieusement, sans se prendre au sérieux. Tout le monde est souriant, calme. Pas d'engueulade: il n'y a pas de problème, il n'y a que des solutions. Le client est roi, alors qu'en France il est plutôt le... roi des cons! Chez nous, personne ne fait péter les galons. Chacun se fait confiance: si tu occupes cette place, c'est que tu es compétent.
La France est un pays royaliste, où l'on aime les titres, même si on a coupé les têtes, et où l'on se heurte à des castes, des plafonds de verre. C'est un pays encore sexiste. J'ai été choqué de voir dans le milieu professionnel des responsables claquer les fesses de leur assistante. C'est un pays qui a aussi ses rites : pourquoi mille rendez-vous avant de parler d'argent? Pourquoi autant de paperasses? Pourquoi se compliquer la vie? En bref, pourquoi faire simple quand on peut faire français?
Lorsque vous retournez au Québec, quelles évolutions vous frappent? Les Français sont toujours étonnés de voir combien, au Québec, l'angoisse identitaire persiste...
La peur de disparaître est inscrite dans nos gênes. Nous sommes en mode défensif. Or, Montréal est une ville multilingue: à Saint-Léonard, on parle italien et créole, à Outremont, on parle yiddish et anglais... Le Québec, c'est un village gaulois, une bulle qui jouit d'une douceur de vie exceptionnelle mais qui est entourée de 300 millions d'anglophones.
Depuis dix ans, 500 000 immigrants y sont arrivés. Cela fait beaucoup pour 7,5 millions d'habitants. C'est un choc. L'inquiétude monte et le Québécois de souche se cherche une nouvelle identité. En outre, nous souffrons toujours de ce vieux complexe d'infériorité. Enfant, hors de la maison, j'entendais toujours cet adage: "On est né pour un petit pain." En résumé, contentons-nous de ce que nous avons.
Avez-vous un avis sur la question lancinante de l'indépendance du Québec?
De manière générale, nous sommes moins politisés au Québec qu'en France. Lors du référendum de 1980, mon père, comme tous les enseignants, avait voté Oui. En 1995, contrairement à moi, il a voté Non, "pour ma soeur et moi", a-t-il justifié. Car dans un Québec indépendant dominé par les Québécois de souche, "pure laine" comme on dit, nous, enfants d'immigrants, n'aurions aucune possibilité d'ascension.
Je suis un être hybride: un quart haïtien, un quart français, deux quarts québécois
Aujourd'hui, je voterais Non. Il faut arrêter de geindre. Les Québécois se plaignent le ventre plein. Oui, nous sommes une minorité au Canada mais mieux traitée que partout ailleurs au monde et nous jouissons d'une large autonomie. Je m'en rends compte depuis que je vis en France, ce pays centralisé. Je suis un être hybride: un quart haïtien, un quart français, deux quarts québécois.
Mais vous êtes aussi un citoyen canadien. Cela a-t-il un sens pour vous?
On est toujours québécois avant d'être canadien. Contrairement aux anglophones qui, eux, sont d'abord canadiens. Je me sentais canadien par défaut... jusqu'à ce que je quitte le pays. Cette citoyenneté a alors pris davantage de sens pour moi. Car, une fois à l'étranger, nous les Québécois, réalisons à quel point les influences anglo-saxonnes nous ont marqués.
Cela nourrit votre inspiration...
Aux états-Unis, il faut avoir de l'argent et de l'ambition. En France, on peut avoir de l'ambition mais il ne faut pas avoir trop d'argent. Au Québec, on peut avoir de l'argent mais pas trop d'ambition. C'est le revers d'une société marquée par un égalitarisme excessif : elle a tendance à descendre vers le plus petit dénominateur commun. Or, selon moi, il faut reconnaître que certains contribuent davantage à la société que d'autres. Ceux-là ont le droit d'avoir de l'ambition. Et même de partir.
Dernière édition par Incognito le Lun 09 Juil 2012, 14:19, édité 1 fois
CANADA - Antony kavanagh a, lui aussi, vécu l'expérience de l'émigration... du Canada vers la France.
P.Perez Castano
L'Express a rencontré Antony Kavanagh. Deux heures d'échanges hauts en couleur, où le comique s'amuse à renverser tabous et préjugés. Et livre ses conseils aux Français tentés par l'émigration.
"Je suis un quart français", lance-t-il en boutade, dans un rire tonitruant. Le ton est donné. Antony Kavanagh, né à Montréal de parents haïtiens ayant fui la dictature de Baby Doc, a désormais passé le quart de sa vie en France. Dans son dernier spectacle, le Québécois se lâche: "Cela fait dix ans que je suis ici, je dis tout, j'assume tout." Cet humoriste multicarte -animateur télé, chanteur, acteur a gardé un pied de l'autre côté de l'Atlantique. Il porte un regard caustique sur sa terre natale, avec laquelle il a pris ses distances, et sur son pays d'adoption, qu'il n'hésite plus à critiquer.
"Je suis l'interprète parfait entre les deux", ose-t-il, sans rire cette fois. C'est bien pour cela que L'Express l'a rencontré. Deux heures d'échanges hauts en couleur, où le comique s'amuse à renverser tabous et préjugés. Et livre ses conseils aux Français tentés par l'émigration.
Comment qualifier le regard que Français et Québécois portent les uns sur les autres?
Les Français ont un fantasme québécois comme les Québécois ont un fantasme français. En bon Québécois, gentil, poli, quand j'arrive dans un pays qui m'accueille, je ferme ma gueule car je suis un invité. Le Français, lui, a une opinion sur tout et ne s'en cache pas. Quand je répète sur scène ici, j'ai l'impression que ce pays compte 65 millions de directeurs artistiques! Au Québec, quand on ne sait pas, on se tait.
Il faut être conscient que le Québécois n'est ni français, ni anglais, ni américain, ni canadien anglais, il est tout cela en même temps. La France, c'est la grand-mère patrie mais, nous, Québécois, nous sommes moins français que nous le pensons. On en prend conscience quand on vient ici. En revanche, quand on va à Londres, c'est un choc: nous sommes beaucoup plus britanniques que nous ne l'imaginons!
Antony Kavanagh en 11 dates
1969 naissance à Montréal
1989 distingué comme l'un des deux meilleurs nouveaux humoristes de l'année au Québec
1992 fait la première partie de Céline Dion
1995 premier one man show dans la Belle Province
1998 débuts en France, à Lyon
1999 premier spectacle à l'Olympia, à Paris
2001 présentation des NRJ Music Awards sur TF1
2003 s'installe en France
2007 "Antonykavanagh. com", nouveau one man show
2008 retour au Québec pour une grande tournée
2010Antony Kavanagh fait son coming out, dernier spectacle
Dans un de vos spectacles, vous dites: "La différence entre Dieu et les Français, c'est que Dieu ne se prend pas pour un Français." C'est cruel...
C'est l'image que les Québécois ont du Français: arrogant. Certains préjugés qui datent de la Seconde Guerre mondiale n'ont pas disparu. Un Français, ça ne se lave pas. Un Français, c'est un éternel donneur de leçons. Dans les années 1950, les Français qui débarquaient au Québec agissaient souvent comme s'ils se trouvaient dans une colonie: "Laissez-moi passer, écoutez-moi les paysans!" Ce comportement a beaucoup marqué les esprits.
D'autant plus qu'avant la Révolution tranquille [le réveil des francophones à la fin des années 1960, NDLR], les Anglophones, qui détenaient le pouvoir et détestaient les Québécois -on était des chiens pour eux-, réservaient les meilleurs postes à ces mêmes Français.
Plus récemment, dans les dix dernières années, le Québec a connu une forte immigration française. à Montréal, le quartier du Plateau est devenu un ghetto de Français. Ces nouveaux arrivants ont profité de la faiblesse du dollar canadien: "Le Québec? Un pays sous-développé de luxe, j'achète!"
Et du coup, ils peuvent encore s'entendre traiter de "maudit français"...
Si tu veux te faire accepter, ferme ta gueule et sois ultra-gentil
Je dis toujours à mes amis français qui arrivent au Québec: "S'il te plaît, pendant cinq minutes, si tu veux te faire accepter, ferme ta gueule et sois ultra-gentil." Car on va t'observer et disséquer ton comportement. Aux yeux des Québécois, il y a deux types de Français: le "Parisien", méfiant, critique, râleur, et le "Marseillais", à l'accent chantant et d'un abord facile. Face au "Parisien", les Québécois, agacés, peuvent réagir et lancer: si tu n'es pas content, retourne dans ton pays! Pour s'intégrer, il ne faut se placer ni au-dessus ni en dehors.
Sur quoi se trompent les Français quand ils rêvent du Québec?
On dit souvent que le Québécois est un Américain élevé en France ou un Français élevé aux états-Unis. C'est faux. Les Français croient que nous partageons la même mentalité. C'est aussi faux. Se rendre au Québec en vacances et s'y installer, ce sont deux expériences complètement différentes. Le touriste français est conquis par l'amabilité des Québécois mais l'immigrant découvre vite qu'il reste un mur à franchir pour être vraiment accepté.
N'est-ce pas finalement plus facile pour un Français d'émigrer au Canada anglais?
Les Français sont très bien reçus au Canada anglais, comme des "vrais Français", par opposition aux Québécois. Mais là aussi, il faut nuancer: on fait croire aux Québécois que la majorité des anglophones les détestent, c'est faux. Et puis les Canadiens anglais sont très très polis. Ils s'excusent même quand ils ne sont pas en faute.
Le "reste du Canada" est-il très différent du Québec?
J'ai fait deux ans de tournée dans le reste du Canada avec Céline Dion. C'était une chance énorme, à 22 ans, d'aller jusqu'à Vancouver. C'est le même pays, la même monnaie mais quelque part, c'est à moitié l'étranger. Le Canada, c'est bien "deux solitudes". Les anglophones ont plus de lien entre eux qu'avec le Québec.
Toronto est plus cosmopolite que Montréal. A Saskatoon, je me suis vu le seul black dans un bar, cela fait tout drôle
Les villes sont très différentes. Toronto est plus cosmopolite que Montréal. A Saskatoon, je me suis vu le seul black dans un bar, cela fait tout drôle. Calgary, c'est le Texas. Vancouver, c'est la côte ouest, un autre climat, une autre flore, une autre ambiance, relax. Plus j'allais vers l'ouest et plus je voyais d'Amérindiens et d'Asiatiques. La musique aussi change: une fois quitté Toronto, les gens écoutent beaucoup plus de country.
Il y a aussi un monde entre l'humour français, l'humour québécois et l'humour anglais?
Ce sont des rythmes différents. L'anglais impose un humour d'efficacité avec des vannes toutes les 10 à 15 secondes. Au Québec, la langue est le français mais le rythme est américain. Les artistes font leurs débuts dans les bars, où le public est souvent éméché: il faut s'imposer vite. Si tu es inconnu, tu as deux minutes pour convaincre. En France, la tradition humoriste vient du théâtre qui privilégie le jeu de mots et les personnages qu'on prend le temps d'installer. Mais il faut être plus agressif.
P.Perez Castano
Sur le fond, j'observe un effet de balancier, le politiquement correct arrive en France et recule en Amérique du Nord. On peut dire certaines choses au Québec, pas en France. Là-bas, on peut faire des vannes sur les communautés, les pauvres, les handicapés, les pédophiles. Ici, j'ai dû édulcorer de moitié mon numéro, tellement cela choquait. On m'avait dit aussi, pas de vanne sur les gros, l'armée, la religion. En France, on ne peut pas trop rire des juifs, au Québec on s'en fiche. Chez nous, on peut aussi rire de l'islam, le poids de l'histoire n'existe pas. Je pourrais très bien imaginer un sketch sur les Algériens qui profitent du système. En France, j'ai plaisanté sur Mahomet mais en cachant mon visage.
Vaut-il mieux être Noir au Québec ou en France?
Au Québec. De ce point de vue, mon arrivée en France a été un choc: je pensais que, dans le pays des droits de l'Homme, ce serait plus facile. En réalité, la France est plus raciste que le Québec même si elle l'est moins que les états-Unis. à Montréal, lorsque j'ai présenté un talk-show à 23 ans, c'est mon jeune âge qui a frappé, pas ma couleur.
Le Québec est une méritocratie quand la France reste une aristocratie
A Paris, en 2000, quand j'ai présidé pour la première fois les NRJ Awards, c'était l'événement car j'étais noir. Ils étaient tous flippés: ils craignaient pour l'audience. En France, les Noirs n'existent pas, même si au cinéma, cela commence à changer. Au Québec, face au modèle américain, je pensais que nous n'étions pas assez représentés mais, par comparaison avec la France, c'est mille fois mieux chez nous. Le Québec est une méritocratie quand la France reste une aristocratie.
Les résultats comptent donc plus que les diplômes?
Le Québécois fait son travail sérieusement, sans se prendre au sérieux. Tout le monde est souriant, calme. Pas d'engueulade: il n'y a pas de problème, il n'y a que des solutions. Le client est roi, alors qu'en France il est plutôt le... roi des cons! Chez nous, personne ne fait péter les galons. Chacun se fait confiance: si tu occupes cette place, c'est que tu es compétent.
La France est un pays royaliste, où l'on aime les titres, même si on a coupé les têtes, et où l'on se heurte à des castes, des plafonds de verre. C'est un pays encore sexiste. J'ai été choqué de voir dans le milieu professionnel des responsables claquer les fesses de leur assistante. C'est un pays qui a aussi ses rites : pourquoi mille rendez-vous avant de parler d'argent? Pourquoi autant de paperasses? Pourquoi se compliquer la vie? En bref, pourquoi faire simple quand on peut faire français?
Lorsque vous retournez au Québec, quelles évolutions vous frappent? Les Français sont toujours étonnés de voir combien, au Québec, l'angoisse identitaire persiste...
La peur de disparaître est inscrite dans nos gênes. Nous sommes en mode défensif. Or, Montréal est une ville multilingue: à Saint-Léonard, on parle italien et créole, à Outremont, on parle yiddish et anglais... Le Québec, c'est un village gaulois, une bulle qui jouit d'une douceur de vie exceptionnelle mais qui est entourée de 300 millions d'anglophones.
Depuis dix ans, 500 000 immigrants y sont arrivés. Cela fait beaucoup pour 7,5 millions d'habitants. C'est un choc. L'inquiétude monte et le Québécois de souche se cherche une nouvelle identité. En outre, nous souffrons toujours de ce vieux complexe d'infériorité. Enfant, hors de la maison, j'entendais toujours cet adage: "On est né pour un petit pain." En résumé, contentons-nous de ce que nous avons.
Avez-vous un avis sur la question lancinante de l'indépendance du Québec?
De manière générale, nous sommes moins politisés au Québec qu'en France. Lors du référendum de 1980, mon père, comme tous les enseignants, avait voté Oui. En 1995, contrairement à moi, il a voté Non, "pour ma soeur et moi", a-t-il justifié. Car dans un Québec indépendant dominé par les Québécois de souche, "pure laine" comme on dit, nous, enfants d'immigrants, n'aurions aucune possibilité d'ascension.
Je suis un être hybride: un quart haïtien, un quart français, deux quarts québécois
Aujourd'hui, je voterais Non. Il faut arrêter de geindre. Les Québécois se plaignent le ventre plein. Oui, nous sommes une minorité au Canada mais mieux traitée que partout ailleurs au monde et nous jouissons d'une large autonomie. Je m'en rends compte depuis que je vis en France, ce pays centralisé. Je suis un être hybride: un quart haïtien, un quart français, deux quarts québécois.
Mais vous êtes aussi un citoyen canadien. Cela a-t-il un sens pour vous?
On est toujours québécois avant d'être canadien. Contrairement aux anglophones qui, eux, sont d'abord canadiens. Je me sentais canadien par défaut... jusqu'à ce que je quitte le pays. Cette citoyenneté a alors pris davantage de sens pour moi. Car, une fois à l'étranger, nous les Québécois, réalisons à quel point les influences anglo-saxonnes nous ont marqués.
Cela nourrit votre inspiration...
Aux états-Unis, il faut avoir de l'argent et de l'ambition. En France, on peut avoir de l'ambition mais il ne faut pas avoir trop d'argent. Au Québec, on peut avoir de l'argent mais pas trop d'ambition. C'est le revers d'une société marquée par un égalitarisme excessif : elle a tendance à descendre vers le plus petit dénominateur commun. Or, selon moi, il faut reconnaître que certains contribuent davantage à la société que d'autres. Ceux-là ont le droit d'avoir de l'ambition. Et même de partir.
Dernière édition par Incognito le Lun 09 Juil 2012, 14:19, édité 1 fois