Il y a des policiers à tous les coins de rue. Des dizaines et des dizaines de policiers français, bien propres et bien mis, en chemise bleue et en képi, qui barricadent le secteur. Manque de pot, notre hôtel est proche de l'Élysée, où ce soir a lieu la grande rencontre d'une soixantaine de pays visant à établir un plan d'action pour l'ère post-Kadhafi en Libye.
Ma blonde et moi, on veut juste un plan pour aller se coucher. On est arrivés ce matin, très tôt, de Montréal, on s'est promenés dans Paris toute la journée, il est 18h et on est crevés.
«Pardon, monsieur l'agent, comment fait-on pour rejoindre notre hôtel qui est situé sur la rue Saint-Honoré?
- Qu'est-ce que vous dites?»
Il me regarde comme si j'étais l'enfant sauvage dans le film de François Truffaut. De toute évidence, il n'a pas pigé un mot de ce que je lui ai demandé. Pourtant ma phrase se tenait. Elle était en bon français. Pas en joual. Je ne lui ai pas dit: «Aïe, la police, qu'essé qu'on fait pour aller à l'hôtel su' a rue Saint-Honoré, tabarnak!». J'ai formulé une phrase digne de l'Académie française. Alors pourquoi cette incompréhension? Ça doit être l'accent. Je me reprends avec un ton plus pointu.
«Comment fait-oooon pour rejoindre notre hôôôôôôtel qui est situé sur la rue Saint-Hoooonooooré?
- Plaît-il?»
Y comprend pas plus. Singer l'accent parisien ne donne rien. Alors que faire? La solution la plus efficace serait de lui demander mon chemin en anglais: «Sorry, mister the policeman, but what can I do to go back to my hotel located on the Saint-Honoré street?»
Il me répondrait sûrement sur-le-champ, mais j'aurais l'impression de trahir ma nation. Si mes aïeux ont quitté la France pour s'installer au Québec en 1534, ce n'est pas pour que je revienne chez eux en parlant une autre langue que la leur. Après tout, 477 ans de résistance ne peuvent pas nous mener là.
Ma blonde s'interpose: «Veux-tu que je le lui demande?»
Mon orgueil de mâle est atteint. C'est pas vrai que je ne parviendrai pas à me faire comprendre par un flic français en France. Je me sens comme Jimmy dans Occupation double. Est-ce qu'il va falloir que je me promène avec des sous-titres dans les culottes?
Je prends une grande respiration. Et soudain, la lumière jaillit en moi. Je pense à la balade que l'on vient de faire dans le parc Monceau. Entre le chant des oiseaux, le son des pas des joggeurs et le bruit de la scie mécanique d'un sculpteur sur bois, il y avait un petit enfant de 4 ans qui demandait à son père: «Papa, crois-tu que nous avons la permission de marcher sur le gazon?» Et cette phrase est entrée dans mes oreilles directement, supplantant tous les autres bruits tellement elle était claire, tellement elle était audible.
Parce que les Français articulent. Qu'ils aient 4 ans ou 400 ans, ils articulent. C'est l'une de leurs plus grandes qualités.
Le Québécois n'articule pas. Le Québécois ne bouge pas les lèvres, le Québécois est un ventriloque. Ça doit être le grand froid qui a figé notre mâchoire. On parle comme si on avait une poutine chaude dans la bouche. Le problème, ce n'est pas notre accent. Toutes les communautés ont un accent. Les Haïtiens ont un gros accent, mais ils articulent, alors on les comprend. À nous de faire la même chose, de nous servir de notre bouche. De mettre un peu de vigueur dans nos propos. Articulons nos idées et notre façon de les énoncer, peut-être deviendrons-nous moins mêlés. Je ne m'adresse pas juste aux péquistes, mais à toute notre société. Il est temps d'articuler. Pas juste à l'étranger, chez nous aussi. À Montréal comme à Paris. Et sur ce, je m'apprête à le faire...
Cette fois, ça va être la bonne: «Mons-ieur l'a-gent, com-ment fait-on pour re-join-dre notre hô-tel si-tué sur la rue Saint-Ho-no-ré?»
Alléluia! Je vois dans son oeil qu'il m'a finalement compris! Vive la diction! Vive la France! On va enfin pouvoir aller se reposer.
«Vous me demandez comment faire pour retourner à votre hôtel sur la rue Saint-Honoré?
- Exac-te-ment, mon-sieur l'a-gent!
- J'sais pas...
- Par-don?
- Je sais vraiment pas...»
Moralité: ce n'est pas parce qu'on est compris dans la vie qu'on est plus avancé.
http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/stephane-laporte/201109/03/01-4431353-de-la-comprehension-du-quebecois-en-france.php
Ma blonde et moi, on veut juste un plan pour aller se coucher. On est arrivés ce matin, très tôt, de Montréal, on s'est promenés dans Paris toute la journée, il est 18h et on est crevés.
«Pardon, monsieur l'agent, comment fait-on pour rejoindre notre hôtel qui est situé sur la rue Saint-Honoré?
- Qu'est-ce que vous dites?»
Il me regarde comme si j'étais l'enfant sauvage dans le film de François Truffaut. De toute évidence, il n'a pas pigé un mot de ce que je lui ai demandé. Pourtant ma phrase se tenait. Elle était en bon français. Pas en joual. Je ne lui ai pas dit: «Aïe, la police, qu'essé qu'on fait pour aller à l'hôtel su' a rue Saint-Honoré, tabarnak!». J'ai formulé une phrase digne de l'Académie française. Alors pourquoi cette incompréhension? Ça doit être l'accent. Je me reprends avec un ton plus pointu.
«Comment fait-oooon pour rejoindre notre hôôôôôôtel qui est situé sur la rue Saint-Hoooonooooré?
- Plaît-il?»
Y comprend pas plus. Singer l'accent parisien ne donne rien. Alors que faire? La solution la plus efficace serait de lui demander mon chemin en anglais: «Sorry, mister the policeman, but what can I do to go back to my hotel located on the Saint-Honoré street?»
Il me répondrait sûrement sur-le-champ, mais j'aurais l'impression de trahir ma nation. Si mes aïeux ont quitté la France pour s'installer au Québec en 1534, ce n'est pas pour que je revienne chez eux en parlant une autre langue que la leur. Après tout, 477 ans de résistance ne peuvent pas nous mener là.
Ma blonde s'interpose: «Veux-tu que je le lui demande?»
Mon orgueil de mâle est atteint. C'est pas vrai que je ne parviendrai pas à me faire comprendre par un flic français en France. Je me sens comme Jimmy dans Occupation double. Est-ce qu'il va falloir que je me promène avec des sous-titres dans les culottes?
Je prends une grande respiration. Et soudain, la lumière jaillit en moi. Je pense à la balade que l'on vient de faire dans le parc Monceau. Entre le chant des oiseaux, le son des pas des joggeurs et le bruit de la scie mécanique d'un sculpteur sur bois, il y avait un petit enfant de 4 ans qui demandait à son père: «Papa, crois-tu que nous avons la permission de marcher sur le gazon?» Et cette phrase est entrée dans mes oreilles directement, supplantant tous les autres bruits tellement elle était claire, tellement elle était audible.
Parce que les Français articulent. Qu'ils aient 4 ans ou 400 ans, ils articulent. C'est l'une de leurs plus grandes qualités.
Le Québécois n'articule pas. Le Québécois ne bouge pas les lèvres, le Québécois est un ventriloque. Ça doit être le grand froid qui a figé notre mâchoire. On parle comme si on avait une poutine chaude dans la bouche. Le problème, ce n'est pas notre accent. Toutes les communautés ont un accent. Les Haïtiens ont un gros accent, mais ils articulent, alors on les comprend. À nous de faire la même chose, de nous servir de notre bouche. De mettre un peu de vigueur dans nos propos. Articulons nos idées et notre façon de les énoncer, peut-être deviendrons-nous moins mêlés. Je ne m'adresse pas juste aux péquistes, mais à toute notre société. Il est temps d'articuler. Pas juste à l'étranger, chez nous aussi. À Montréal comme à Paris. Et sur ce, je m'apprête à le faire...
Cette fois, ça va être la bonne: «Mons-ieur l'a-gent, com-ment fait-on pour re-join-dre notre hô-tel si-tué sur la rue Saint-Ho-no-ré?»
Alléluia! Je vois dans son oeil qu'il m'a finalement compris! Vive la diction! Vive la France! On va enfin pouvoir aller se reposer.
«Vous me demandez comment faire pour retourner à votre hôtel sur la rue Saint-Honoré?
- Exac-te-ment, mon-sieur l'a-gent!
- J'sais pas...
- Par-don?
- Je sais vraiment pas...»
Moralité: ce n'est pas parce qu'on est compris dans la vie qu'on est plus avancé.
http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/stephane-laporte/201109/03/01-4431353-de-la-comprehension-du-quebecois-en-france.php