Le site web de la chine de télévision iranienne HispanTV
Le président iranien se rend régulièrement en Amérique latine pour nouer des relations privilégiées avec les Etats qui partagent un fort antiaméricanisme. Avec le lancement d'HispanTV, une chaîne iranienne en espagnol, diffusée sur le continent latino-américain, Téhéran espère ajouter au partenariat diplomatique une influence culturelle.
La télévision d'Etat iranienne (IRIB) vient de lancer HispanTV, une chaîne hispanophone qui propose aux téléspectateurs latinos-américains des informations, des documentaires et même des telenovelas. En diffusant la vision iranienne du monde dans des pays où les Etats-Unis imposent leurs propres vues depuis plus d'un siècle, HispanTV traduit la volonté de l'Iran de relayer le discours de la gauche latino-américaine : celui d'une victoire sur la tyrannie planétaire des Etats-Unis. A l'instar de Press TV, chaîne iranienne anglophone lancée en 2007 [et qui s'est vu retirer sa licence de diffusion au Royaume-Uni le 20 janvier pour manque d'indépendance éditoriale par rapport au siège de Téhéran], HispanTV s'insurge contre la décision prise par l'Union européenne [à la mi-janvier] de boycotter le pétrole iranien. La chaîne y voit une agression absurde et gratuite orchestrée par les Etats-Unis et Israël contre le peuple iranien souverain, agression à laquelle l'Iran survivra sans aucun doute, avec l'aide d'autres puissants pays en développement.
Mohsen Milani, professeur à l'université de Floride du Sud, spécialiste de l'Iran, se rallie à la thèse d'autres experts en disant que le pays souffre de "solitude stratégique" et s'est tourné vers le Venezuela pour des raisons plus politiques qu'économiques. "Ce qui ne veut pas dire que l'Iran n'a pas d'intérêts économiques en Amérique du Sud, mais il a pour priorité de former un front idéologique et politique avec le Venezuela contre l'unilatéralisme américain tel que le perçoivent ces deux pays." Milani, qui a témoigné devant le Congrès en 2009 sur les relations irano-vénézuéliennes, ajoute que "l'Iran veut avoir une présence visible dans l'arrière-cour des Etats-Unis."
Il est vrai qu'il existe un fort sentiment antiaméricain en Amérique latine. "Une chose est sûre, l'attitude des Etats-Unis en Amérique latine depuis le XIXe siècle jusqu'à la fin du XXe pose un énorme problème psychologique ici", lance Doug Farah, membre de l'International Assessment and Strategy Center, établi à Washington, qui s'intéresse notamment aux intérêts de l'Iran en Amérique latine. "Et je crois que les Iraniens s'efforcent de parler le même langage que la gauche latino-américaine, accusant les Etats-Unis d'être 'l'empire du diable'." Et l'Iran ne se contente plus de nouer des relations avec les chefs d'Etats latino-américains, il s'adresse directement au peuple, avec des documentaires qui parlent de dévotion à l'imam Reza, éminent chef religieux chiite, ou de l'attentat contre l'Amia [un centre culturel juif] à Buenos Aires, attentat dont les leaders argentins accusent l'Iran d'être l'instigateur [plusieurs dirigeants iraniens sont sous le coup d'un mandat d'arrêt lancé par Interpol].
Marcelo Sánchez, correspondant d'HispanTV à Washington, affirme que les Etats-Unis influencent les médias depuis trop longtemps en Amérique latine, une attitude dont les conséquences ne sont que trop évidentes. "Si je suis à Buenos Aires et que je regarde CNN International en espagnol, j'aurai l'impression que la plupart des Iraniens sont des barbares !" souligne-t-il. "Mais ce n'est pas vrai." Sánchez, né en Bolivie, a travaillé pour Telemundo [chaîne hispanophone américaine] et Russia Today [chaîne anglophone financée par Moscou], avant d'être embauché à HispanTV. Pour son nouvel employeur, il a fait des reportages sur l'expulsion du consul général du Venezuela à Miami, sur les soldats américains dont les corps ont fini dans une décharge de Virginie, ou encore sur les manifestations d'Occupy Congress devant le Capitole. Ces sujets-là, au dire de Sánchez, ne sont pas traités sur les chaînes de télé qui règnent sur les ondes latino-américaines, chaînes appartenant à de grands groupes.
Carolina Acosta-Alzuru, originaire du Venezuela, est professeure à l'université de Géorgie et spécialisée sur la télévision en Amérique latine. Elle apprécie la diversité des sujets traités par HispanTV, des thématiques d'ordinaire délaissées par les médias occidentaux, comme ce documentaire sur les musulmans d'Argentine. Elle s'avoue en revanche déçue par le côté "excessif, partisan" des bulletins d'information de la chaîne.
De toute évidence, l'intérêt de l'Iran pour l'Amérique latine en agace plus d'un aux Etats-Unis. Ainsi, des candidats républicains à la présidentielle n'ont pas hésité à accuser l'Iran et le Hezbollah de préparer des attentats terroristes depuis l'Amérique latine. Ahmadinedjad, quant à lui, s'est rendu six fois en Amérique latine depuis son investiture en 2005. [En janvier 2012, le président iranien a effectué une tournée dans quatre pays latino-américains : Venezuela, Nicaragua, Cuba et Equateur.]
Toutefois, Mme Acosta-Alzuru estime que les Etats-Unis n'ont pas à se sentir menacés par l'offensive médiatique iranienne. "Je les connais, les Latinos-Américains, conclut-elle, je ne les vois pas renoncer à leur telenovela locale pour l'une de ces émissions."
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http://www.courrierinternational.com/article/2012/02/07/hispantv-la-tele-des-mollahs-a-l-accent-latino