Blogues - Martin Leclerc sur le trottoir
Dimanche, 18 avril 2010 13:32
Le temps a filé tellement rapidement. J’ai peine à croire que je suis en train de rédiger cette chronique. Âgé de seulement 34 ans, Éric Gagné a décidé de prendre sa retraite.
Je me revois encore, en 1994, en train de supplier le patron de m’envoyer couvrir le camp d’entraînement floridien de l’Académie de Baseball Canada. « Il faut absolument que tu m’envoies là-bas, il y a un jeune Québécois qui sera repêché et qui connaîtra une grande carrière au baseball majeur. Il faut le suivre ! », avais-je plaidé auprès de François Leblond, notre directeur des sports à l’époque.
François avait souri. « Achète un billet d’avion et vas-y. »
C’est de cette manière que j’ai connu Éric Gagné, qui était alors un grand adolescent rebelle. Cet été-là, les White Sox de Chicago l’avaient sélectionné en 12e ronde, si ma mémoire est bonne. Mais c’est le recruteur Claude Pelletier, alors avec les Dodgers de Los Angeles, qui avait ramassé le gros lot l’année suivante en parvenant à lui faire signer un contrat à titre de joueur autonome.
En 1999, à la fin du mois d’août, je rentre à la maison un peu avant minuit. Le téléphone sonne. C’est Gagné au bout du fil. « Salut, Martin. Je voulais juste te dire que les Dodgers m’ont rappelé. Je vais faire mes débuts dans les majeures dans quelques jours contre les Marlins en Floride. Tu es la première personne à qui je parle. Même ma mère ne le sait pas encore. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi. »
– Éric, je suis tellement fier pour toi ! Toutes mes félicitations ! Je vais être en Floride pour ton premier départ. Mais je dois raccrocher. Il me reste 12 minutes pour écrire la nouvelle ! »
À Miami, Gagné avait été phénoménal à son premier départ. Vraiment. Les journalistes de Los Angles n’avaient eu besoin que d’un match pour le surnommer le « Canadian fireballer ».
Puis, tout s’est déroulé à la vitesse de la lumière. Quelques saisons ordinaires à titre de partant ; sa décision de tenter sa chance comme releveur ; ses trois phénoménales campagnes et sa rapide ascension à titre de meilleure releveur du baseball ; son statut de rock star ; les matchs d’étoiles ; les records ; le Cy Young ; les blessures qui n’ont jamais cessé de miner ses performances ; la Série mondiale avec les Red Sox de Boston ; le rapport Mitchell ; les Capitales de Québec ; et, finalement, le dernier camp dans l’uniforme des Dodgers.
Le désir de vaincre n’y est plus
Le temps a filé. Les technologies ont changé. Cette semaine, durant un échange de messages texte, Éric m’a lancé : « Je prends ma retraite. » Comme ça, sans tambour, ni trompette.
La retraite à 34 ans ? Vraiment ? À un âge où la plupart des lanceurs connaissent encore de très bonnes années ?
« Je n’avais plus suffisamment de combativité en moi pour retourner dans les majeures, a-t-il expliqué ensuite au cours d’un long entretien téléphonique. C’est sûr que c’est plate de se dire : Assez, c’est assez ! Mais à un moment donné, il faut être capable de se regarder dans le miroir et de voir où on est rendu dans sa carrière et dans sa vie. Et il faut agir en conséquence.
« Ce qui est bizarre, c’est que ça faisait trois ans que je n’allais pas bien physiquement et que je combattais des blessures. Cet hiver, enfin, je m’étais présenté au camp d’entraînement en pleine forme. Mon état physique se situait à 110 % par rapport à celui des trois dernières années, mais ça n’allait pas bien du tout sur le monticule. Chaque balle que je lançais dans la zone des prises se faisait frapper d’aplomb.
« Physiquement, j’étais capable. Mais mentalement, je n’avais plus autant de désir que par le passé. »
Quand les Dodgers l’ont rétrogradé au niveau AAA pour lui permettre de peaufiner sa mécanique, Gagné dit avoir accepté l’assignation en se disant qu’il allait pouvoir apporter les correctifs nécessaires et retourner dans les majeures en quelques mois.
« Quand je suis descendu au niveau AAA, ils m’ont utilisé dans deux matchs, et je n’ai vraiment pas bien lancé. Les Dodgers voulaient vraiment me donner une chance de me replacer. Mais je me suis dit que je ne voulais pas prendre la place d’un jeune qui voulait un poste et qui avait une chance de se rendre dans les majeures. Je ne voulais pas me placer en travers de son chemin. J’ai alors décidé que j’avais connu une belle carrière et que le moment était venu de passer à autre chose. »
« Je ne regrette pas grand-chose… »
Quel bilan dresse-t-il de cette carrière absolument météorique ? Superstar à Los Angeles un jour, chahuté à Boston le lendemain. Adulé à… Québec par la suite. Comment a-t-il vécu les montagnes russes ?
« J’ai vraiment adoré tout ce que j’ai fait. J’ai connu une carrière incroyable et j’en suis très fier. Je ne regrette pas grand-chose, dit-il. J’ai donné tout ce que j’avais. J’arrête de jouer mais j’ai la tête haute et je suis vraiment fier de ce que j’ai accompli.
« C’est sûr qu’il y a eu le rapport Mitchell. Je pourrais répéter sans cesse que j’ai des regrets. Mais quand c’est fait, c’est fait. Je ne peux rien y changer. »
Gagné a récemment avoué à un columnist du Los Angeles Times qu’il avait fait usage d’hormones de croissance dans l’espoir d’accélérer la guérison de certaines blessures. Un jour, qui sait, peut-être racontera-t-il son histoire au complet et en détail ?
« Il y a de nombreuses personnes qui m’ont aidé et qui m’ont permis de connaître la carrière que j’ai connue, et je les remercie sincèrement, ajoute-t-il. Et je remercie les joueurs que j’ai côtoyés. J’ai eu tellement de plaisir et j’ai tellement ri ! Quand tu passes à travers une saison de 162 matchs, sans compter les 40 matchs du camp d’entraînement, tu tisses des liens avec tes coéquipiers et il y a des amitiés qui naissent que tu ne peux pas avoir ailleurs. Tu passes plus de temps avec tes coéquipiers qu’avec ta famille. Tu vis avec eux 300 jours par année. »
Lendemains difficiles
Depuis trois ou quatre semaines, Éric Gagné ne fait cependant plus partie d’une équipe. Il est officiellement à la retraite et il se rend compte qu’il n’était pas prêt pour cela.
« C’est vraiment difficile. Je ne pensais pas que ça allait être si dur que ça », a-t-il répété plusieurs fois au cours de notre entretien.
« C’est une étape. Et il me faudra plus que quelques semaines pour m’en remettre. Il me faut essayer de me trouver une nouvelle routine et de nouveaux défis. Je devrai trouver de l’adrénaline ailleurs, mais je ne sais pas encore à quel endroit je vais aller la chercher. J’essaie de regarder le baseball le moins possible. Il faut que je me garde occupé, il faut que je me trouve un nouveau but et de nouveaux défis dans la vie. Je joue au baseball depuis que j’ai 2 ou 3 ans, c’est une coupure difficile », avoue-t-il.
En attendant de retrouver un certain équilibre, Gagné a décidé de renouer avec sa passion pour le hockey. Il suit les séries éliminatoires de la LNH avec grand intérêt. Il tente aussi de parfaire son jeu au golf, lui qui est déjà un excellent joueur. D’ici à quelques semaines, il commencera d’ailleurs à disputer des tournois sur un circuit mineur dans l’ouest des États-Unis. Il veut éventuellement participer régulièrement aux compétitions du Celebrity Tour.
Pour celui que les fans des Dodgers surnommaient « Game over », la partie est bel et bien terminée.
Bonne retraite, Éric. Et merci pour les souvenirs.
http://www.ruefrontenac.com/mleclerc/21095-chronique-martin-leclerc
Dimanche, 18 avril 2010 13:32
Le temps a filé tellement rapidement. J’ai peine à croire que je suis en train de rédiger cette chronique. Âgé de seulement 34 ans, Éric Gagné a décidé de prendre sa retraite.
Je me revois encore, en 1994, en train de supplier le patron de m’envoyer couvrir le camp d’entraînement floridien de l’Académie de Baseball Canada. « Il faut absolument que tu m’envoies là-bas, il y a un jeune Québécois qui sera repêché et qui connaîtra une grande carrière au baseball majeur. Il faut le suivre ! », avais-je plaidé auprès de François Leblond, notre directeur des sports à l’époque.
François avait souri. « Achète un billet d’avion et vas-y. »
C’est de cette manière que j’ai connu Éric Gagné, qui était alors un grand adolescent rebelle. Cet été-là, les White Sox de Chicago l’avaient sélectionné en 12e ronde, si ma mémoire est bonne. Mais c’est le recruteur Claude Pelletier, alors avec les Dodgers de Los Angeles, qui avait ramassé le gros lot l’année suivante en parvenant à lui faire signer un contrat à titre de joueur autonome.
En 1999, à la fin du mois d’août, je rentre à la maison un peu avant minuit. Le téléphone sonne. C’est Gagné au bout du fil. « Salut, Martin. Je voulais juste te dire que les Dodgers m’ont rappelé. Je vais faire mes débuts dans les majeures dans quelques jours contre les Marlins en Floride. Tu es la première personne à qui je parle. Même ma mère ne le sait pas encore. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi. »
– Éric, je suis tellement fier pour toi ! Toutes mes félicitations ! Je vais être en Floride pour ton premier départ. Mais je dois raccrocher. Il me reste 12 minutes pour écrire la nouvelle ! »
À Miami, Gagné avait été phénoménal à son premier départ. Vraiment. Les journalistes de Los Angles n’avaient eu besoin que d’un match pour le surnommer le « Canadian fireballer ».
Puis, tout s’est déroulé à la vitesse de la lumière. Quelques saisons ordinaires à titre de partant ; sa décision de tenter sa chance comme releveur ; ses trois phénoménales campagnes et sa rapide ascension à titre de meilleure releveur du baseball ; son statut de rock star ; les matchs d’étoiles ; les records ; le Cy Young ; les blessures qui n’ont jamais cessé de miner ses performances ; la Série mondiale avec les Red Sox de Boston ; le rapport Mitchell ; les Capitales de Québec ; et, finalement, le dernier camp dans l’uniforme des Dodgers.
Le désir de vaincre n’y est plus
Le temps a filé. Les technologies ont changé. Cette semaine, durant un échange de messages texte, Éric m’a lancé : « Je prends ma retraite. » Comme ça, sans tambour, ni trompette.
La retraite à 34 ans ? Vraiment ? À un âge où la plupart des lanceurs connaissent encore de très bonnes années ?
« Je n’avais plus suffisamment de combativité en moi pour retourner dans les majeures, a-t-il expliqué ensuite au cours d’un long entretien téléphonique. C’est sûr que c’est plate de se dire : Assez, c’est assez ! Mais à un moment donné, il faut être capable de se regarder dans le miroir et de voir où on est rendu dans sa carrière et dans sa vie. Et il faut agir en conséquence.
« Ce qui est bizarre, c’est que ça faisait trois ans que je n’allais pas bien physiquement et que je combattais des blessures. Cet hiver, enfin, je m’étais présenté au camp d’entraînement en pleine forme. Mon état physique se situait à 110 % par rapport à celui des trois dernières années, mais ça n’allait pas bien du tout sur le monticule. Chaque balle que je lançais dans la zone des prises se faisait frapper d’aplomb.
« Physiquement, j’étais capable. Mais mentalement, je n’avais plus autant de désir que par le passé. »
Quand les Dodgers l’ont rétrogradé au niveau AAA pour lui permettre de peaufiner sa mécanique, Gagné dit avoir accepté l’assignation en se disant qu’il allait pouvoir apporter les correctifs nécessaires et retourner dans les majeures en quelques mois.
« Quand je suis descendu au niveau AAA, ils m’ont utilisé dans deux matchs, et je n’ai vraiment pas bien lancé. Les Dodgers voulaient vraiment me donner une chance de me replacer. Mais je me suis dit que je ne voulais pas prendre la place d’un jeune qui voulait un poste et qui avait une chance de se rendre dans les majeures. Je ne voulais pas me placer en travers de son chemin. J’ai alors décidé que j’avais connu une belle carrière et que le moment était venu de passer à autre chose. »
« Je ne regrette pas grand-chose… »
Quel bilan dresse-t-il de cette carrière absolument météorique ? Superstar à Los Angeles un jour, chahuté à Boston le lendemain. Adulé à… Québec par la suite. Comment a-t-il vécu les montagnes russes ?
« J’ai vraiment adoré tout ce que j’ai fait. J’ai connu une carrière incroyable et j’en suis très fier. Je ne regrette pas grand-chose, dit-il. J’ai donné tout ce que j’avais. J’arrête de jouer mais j’ai la tête haute et je suis vraiment fier de ce que j’ai accompli.
« C’est sûr qu’il y a eu le rapport Mitchell. Je pourrais répéter sans cesse que j’ai des regrets. Mais quand c’est fait, c’est fait. Je ne peux rien y changer. »
Gagné a récemment avoué à un columnist du Los Angeles Times qu’il avait fait usage d’hormones de croissance dans l’espoir d’accélérer la guérison de certaines blessures. Un jour, qui sait, peut-être racontera-t-il son histoire au complet et en détail ?
« Il y a de nombreuses personnes qui m’ont aidé et qui m’ont permis de connaître la carrière que j’ai connue, et je les remercie sincèrement, ajoute-t-il. Et je remercie les joueurs que j’ai côtoyés. J’ai eu tellement de plaisir et j’ai tellement ri ! Quand tu passes à travers une saison de 162 matchs, sans compter les 40 matchs du camp d’entraînement, tu tisses des liens avec tes coéquipiers et il y a des amitiés qui naissent que tu ne peux pas avoir ailleurs. Tu passes plus de temps avec tes coéquipiers qu’avec ta famille. Tu vis avec eux 300 jours par année. »
Lendemains difficiles
Depuis trois ou quatre semaines, Éric Gagné ne fait cependant plus partie d’une équipe. Il est officiellement à la retraite et il se rend compte qu’il n’était pas prêt pour cela.
« C’est vraiment difficile. Je ne pensais pas que ça allait être si dur que ça », a-t-il répété plusieurs fois au cours de notre entretien.
« C’est une étape. Et il me faudra plus que quelques semaines pour m’en remettre. Il me faut essayer de me trouver une nouvelle routine et de nouveaux défis. Je devrai trouver de l’adrénaline ailleurs, mais je ne sais pas encore à quel endroit je vais aller la chercher. J’essaie de regarder le baseball le moins possible. Il faut que je me garde occupé, il faut que je me trouve un nouveau but et de nouveaux défis dans la vie. Je joue au baseball depuis que j’ai 2 ou 3 ans, c’est une coupure difficile », avoue-t-il.
En attendant de retrouver un certain équilibre, Gagné a décidé de renouer avec sa passion pour le hockey. Il suit les séries éliminatoires de la LNH avec grand intérêt. Il tente aussi de parfaire son jeu au golf, lui qui est déjà un excellent joueur. D’ici à quelques semaines, il commencera d’ailleurs à disputer des tournois sur un circuit mineur dans l’ouest des États-Unis. Il veut éventuellement participer régulièrement aux compétitions du Celebrity Tour.
Pour celui que les fans des Dodgers surnommaient « Game over », la partie est bel et bien terminée.
Bonne retraite, Éric. Et merci pour les souvenirs.
http://www.ruefrontenac.com/mleclerc/21095-chronique-martin-leclerc